La malédiction du grand maître

Au terme d'un procès inique, le grand maître des Templiers, Jacques de Molay, est lui-même brûlé vif à la pointe de l'île de la Cité le 19 mars 1314. Une plaque rappelle le triste sort de cet homme qui ne sut pas réformer son ordre quand il en était temps et le laissa disparaître.

La légende veut qu'à l'instant de succomber dans les flammes, Jacques de Molay lance une malédiction à l'adresse du roi et du pape, les invitant à le rejoindre dans la mort avant la fin de l'année. Or, c'est ainsi que vont se passer les choses!
Quelques semaines après le supplice, on apprend que les belles-filles du roi, Marguerite et Blanche, trompent allègrement leur époux avec des chevaliers de la cour. Jeanne, la soeur de Blanche, est elle-même au courant de leurs frasques. Les amants sont terriblement punis. Ce «scandale « de la Tour de Nesle» ternit la fin du règne.

Le roi Philippe le Bel meurt sur ces entrefaites le 29 novembre d'une maladie que les historiens n'ont pu identifier de façon certaine. Ses trois fils lui succèdent tour à tour avant que la couronne ne passe enfin à une branche cadette de la dynastie des Capétiens, les Valois.

Le roi Philippe IV le Bel meurt le 29 novembre 1314, à l'âge de 46 ans, après un règne tourmenté de près de 30 ans. Il est devenu roi à 17 ans, le 5 octobre 1285, à la mort de son père Philippe III le Hardi.
Sous son règne, la France consolide ses frontières. La monarchie échappe à l'emprise du pouvoir religieux. Elle s'écarte des traditions féodales en se dotant d'une administration moderne et en faisant appel à des fonctionnaires zélés issus de la bourgeoisie.

A sa mort, Philippe le Bel laisse le royaume en ordre et plus puissant que jamais.
Pourtant, pour la première fois depuis trois siècles, l'avenir de la dynastie capétienne est compromis par l'absence de succession mâle.

Philippe IV laisse trois fils mais aucun de ceux-ci n'a encore de garçon et leurs démêlés avec leurs épouses rendent cette éventualité problématique.

Les amants scandaleux

Deux chevaliers sont exécutés, à Pontoise, dans d'atroces conditions, le 19 avril 1314 ("le vendredi qui suivit le dimanche de Quasimodo", selon une chronique de l'époque). Leur crime est d'avoir aimé des princesses. Les frères d'Aunay sont les principales victimes du scandale dit "de la tour de Nesle" qui assombrit la dernière année du règne de Philippe IV le Bel.

Princesses adultères

Le scandale allait blesser cruellement l'amour-propre de ce roi profondément pieux qui, d'après le témoignage des contemporains, resta chaste après la mort de son épouse Jeanne de Navarre, survenue neuf ans plus tôt.
Le roi avait eu quatre enfants qui devaient atteindre l'âge adulte: Louis, Isabelle, Philippe et Charles.
L'aîné, Louis, avait un caractère difficile qui lui valut le surnom de "Hutin" ou de "Noiseux". Il épousa Marguerite, fille de Robert de Bourgogne et d'Agnès, elle-même fille de Saint Louis.
Altière et un rien frondeuse, cette jolie jeune femme aimait la vie.
Philippe, prince intelligent, épousa Jeanne d'Artois, fille d'Othon IV de Bourgogne et de Mahaut d'Artois.

Charles, à la personnalité plus effacée, épousa Blanche, la sœur de Jeanne, plus frivole que cette dernière et facilement influencée par sa belle-sœur Marguerite Ces jeunes femmes donnaient à la cour un air de gaieté très apprécié, qui contrastait avec l'austérité du roi et de son entourage. Or, après trois ou quatre ans de mariage, voilà que Marguerite et Blanche prirent pour amants de "jeunes et biaux chevaliers", les frères Gautier et Philippe d'Aunay. On chuchotait à la cour, mais personne n'osait en souffler mot à Philippe le Bel. L'affaire s'éventa pourtant en avril 1314, à l'abbaye de Maubuisson où le roi aimait à se retirer avec sa cour.

Il semble, suivant certains historiens, que c'est leur belle-sœur Isabelle qui les dénonça.
Immédiatement, Philippe le Bel fit faire une enquête qui, malheureusement, ne laissa pas de place au doute. Elle démontra de surcroît que Jeanne était au courant de tout.
La justice royale s'abattit implacablement sur les amants adultères.
Marguerite et Blanche furent arrêtées, jugées et condamnées à être tondues, habillées de robes grossières et conduites dans un chariot recouvert de draps noirs aux Andelys, dans les geôles du château Gaillard.Marguerite, éplorée et repentante, y occupa une cellule ouverte à tous vents au sommet du donjon.

Et de Navarre la reine
Prise comme garce et méchine
Et en prison emprisonnée
A Gaillard où elle fut menée

Dont le royaume était troublé.

(Geoffroi de Paris)

Victime de mauvais traitements, la malheureuse mourut à la fin de l'hiver 1314.

Blanche fut un peu mieux traitée dans un cachot "enfoncé dans la terre". Elle survécut à l'épreuve et, à l'avènement de Charles IV, son époux, elle fut transférée à Gavray, en Normandie, et obtint l'autorisation de prendre l'habit de religieuse. Elle finit ses jours en 1326, à l'abbaye de Maubuisson.

Jeanne fut aussi arrêtée et placée sous surveillance au château de Dourdan. Traitée avec beaucoup plus d'égards, elle défendit sa cause auprès du roi:

Por Dieu, oez moi, sire roi
Qui est qui parle contre moi ?

Je dis que je suis prude fame
Sans nul crisme et sans nul diffame.
(Jean de Troyes)

Mahaut d'Artois, qui siégeait au Conseil du roi, plaida pour sa fille Jeanne. Comme la situation de celle-ci avait été très délicate et qu'il lui avait été difficile de dénoncer sa sœur et sa belle-sœur, on lui pardonna et on lui rendit rapidement sa liberté. Elle retrouva sa place auprès de son époux Philippe ainsi qu'à la cour, où on lui fit fête.

Les amants au supplice

Les frères d'Aunay, quant à eux, furent arrêtés et subirent la question. Ils avouèrent sans tarder et après un rapide jugement à Pointoise pour crime de lèse majesté, ils furent exécutés sur le champ en place publique.

Leur supplice fut épouvantable: dépecés vivants, leur sexe tranché et jeté aux chiens, ils furent finalement décapités, leurs corps traînés puis pendus par les aisselles aux gibet.

On reste confondu devant tant de cruauté et, si le peuple avait l'habitude de ces pratiques, il trouva néanmoins le châtiment bien sévère pour une faute qui, d'ordinaire, n'entraînait pas tant de violence...
C'était sans mesurer les conséquences d'un tel comportement adultère. Au-delà de l'affront fait à la famille royale, ce crime était une atteinte aux institutions du royaume plus encore qu'à la morale: il mettait tout simplement en péril la dynastie capétienne.

En effet, quelles auraient été la légitimité et l'autorité d'un futur souverain dont on aurait pu mettre en doute la royale paternité? Comment sacrer et donner l'onction divine à un roi qui n'aurait pas été, sans équivoque possible, le fils du roi précédent? Les implications politiques étaient si graves que le châtiment se devait d'être exemplaire.

Mais ce scandale posait à la maison du roi un autre problème. En effet, l'adultère n'était pas considéré par l'Église comme un motif suffisant pour annuler un mariage.

Comment assurer la descendance dynastique et la venue d'un hoir (héritier) mâle? Quel avenir pour la dynastie?

Au moment où éclata l'affaire de la tour de Nesles, Louis (le futur roi) et Marguerite avaient déjà une fille, Jeanne (future reine de Navarre et mère de Charles le Mauvais).
La mort rapide de Marguerite, dans sa prison, permit à Louis de se remarier avec Constance de Hongrie, mais il n'en eût qu'un enfant posthume, Jean 1er, lequel ne vécut que cinq jours.

Philippe V le Long succéda à son frère Louis Le Hutin et à Jean 1er Le Posthume. Il n'eut pas de mal à utiliser l'affaire d'adultère pour écarter sa nièce, la petite Jeanne, de la succession au trône (la loi salique sur l'exclusion des femmes de la succession au trône de France ne fut pas invoquée à cette occasion; elle n'a été mentionnée pour la première fois qu'en 1358, dans une chronique).

Mais Jeanne d'Artois, son épouse réhabilitée, ne lui donna que trois filles et aucun garçon.

À sa mort, son frère monta à son tour sur le trône sous le nom de Charles IV le Bel. Attaché à Blanche, malgré l'affront, il vécut douloureusement sa disgrâce.

Les deux époux s'accordèrent sur l'obligation politique d'annuler le mariage. Resta à trouver une justification acceptable par le pape.
Le couple royal ne put invoquer l'argument classique d'une trop proche parenté comme ce fut autrefois le cas pour Louis VII et Aliénor d'Aquitaine.

Mais quand on veut on peut... Charles se souvint que la mère de son épouse, Mahaut d'Artois, était sa marraine et, par là même,... sa "mère spirituelle". Son épouse Blanche était donc, en quelque sorte, "sa sœur"!

Cette clause de parenté spirituelle étant un motif de nullité prévu par le droit canonique, il put se remarier avec Marie de Luxembourg.

Cette deuxième épouse, enceinte, mourut prématurément et Charles n'hésita pas à épouser Jeanne d'Évreux, sa cousine (nécessité faisant loi, il fallut bien que le Ciel s'accommodât de cette autre parenté).
Le roi n'eut pas plus de chance avec cette troisième épouse. Elle lui donna une première fille qui mourut prématurément puis une fille posthume.

Isabelle, la "Louve de France", seule fille de Philippe IV le Bel, n'eut pas une vie conjugale plus enviable que ses belles-sœurs.

Délaissée par son époux Édouard II, roi d'Angleterre, qui préférait les jeunes pages, elle vécut au vu et au su de tous avec son amant, le baron Roger Mortimer.

La mort, en 1327, de son mari, emprisonné par elle-même à Berkeley, ainsi que le trop jeune âge de son fils Édouard III, lui permirent d'exercer avec son amant une régence de fait.

En 1330, Édouard III reprit le pouvoir, fit exécuter Mortimer et relégua sa mère au château de Norfolk où elle mourut en 1358. On n'avait pas fini d'entendre parler de lui...

Faute d'héritier mâle en ligne directe, la noblesse du royaume donna le trône au représentant de la branche cadette des Valois.

Celui-ci devint roi sous le nom de Philippe VI non sans exciter la rancœur de ses rivaux, dont le roi d'Angleterre et celui de Navarre.

Il en résulta la guerre de Cent Ans!